GAZ DE SCHISTE, NUCLÉAIRE … QUELLE STRATÉGIE ÉNERGÉTIQUE POUR DEMAIN ?

CONFERENCE 1er DECEMBRE 2011 sur la STRATEGIE ENERGETIQUE


Par

M. Bruno CHARLES, vice-président Energie Climat Grand Lyon

Mme Michèle EYBALIN, présidente de la Commission Santé et Environnement Région Rhône-Alpes,

M. Benoît LECLAIR, vice-président Energie Climat Région Rhône-Alpes,

Mme Michèle RIVASI députée au Parlement européen,

commission industrie, recherche, et commission santé et environnement

Modérateur Antonia BLEY.

Le modérateur rappelle qu’aujourd’hui l’énergie relève de la compétence partagée des états membres et de l’Union européenne. Tout au long du 20e siècle nous avions bénéficié d’une énergie abondante et bon marché qui a soutenu notre développement mais conduit aussi à une politique de gaspillage énergétique. Or 80 % de notre énergie est d’origine fossile et le plan climat nous impose de diviser par 4 nos gaz à effet de serre d’ici 2050. L’énergie nucléaire qui est un fleuron français assure aujourd’hui 75 % de l’électricité en France, mais l’accident de Fukushima vient de remettre en lumière le problème des dangers du nucléaire. Les énergies renouvelables posent à ce jour des problèmes de rendement et de continuité dans la fourniture de l’énergie.

Les questions posées aux invités : Quelle stratégie énergétique peut assurer un développement durable et une maîtrise de la sécurité ? Quels choix stratégiques aujourd’hui pour l’énergie de demain ?

Le premier volet abordé est celui des hydrocarbures non conventionnels introduit par la projection  du film « Gaz de schiste : une solution ou un problème pour l’avenir »

3 permis d’exploration des gaz de schiste en Rhône-Alpes ont été accordés en mars 2010 par le ministre Jean-Louis Borloo -Nant et Villeneuve-de-Berg au profit de Schuepach et Montélimar au profit de Total-  provoquant une mobilisation sans précédent des habitants des territoires intéressés, une réaction d’appui des collectivités locales à ces mouvements  puis une annulation de ces permis par la loi d’octobre 2011.

Quelles sont les spécificités de ces hydrocarbures non conventionnels ?

Ils sont contenus dans les micropores de la roche mère imperméable au lieu de se trouver contenus dans une poche ce qui nécessite pour leur extraction une méthode invasive et polluante la fracturation hydraulique.

En effet, les hydrocarbures conventionnels, emprisonnés dans une poche,  s’extraient par forage vertical. En revanche, pour extraire les hydrocarbures non conventionnels, il est nécessaire de forer très profondément -entre 2 et 3000 mètres- puis horizontalement pour injecter un mélange : d’eau -10 000 à 20 000 m3 par forage impliquant la rotation bi-quotidienne de 500 à 1000 camions citernes pedant 15 jours-, de produits chimiques -dont certains toxiques pour le milieu aquatique et cancérigènes – et de sable.

Une partie de l’eau -entre 50 et 90 %- est récupérée dans des bassins et nécessitent un traitement qui ne peut être réalisée actuellement techniquement par nos stations d’épuration urbaines. Quant à l’impact sur les paysages : un derrick tous les 200 mètres. Cette méthode d’extraction génère également des séismes plus ou moins importants comme cela fut le cas aux Etats-Unis -l’Arkansas qui connaît ce type d’extraction a enregistré en 2010 un nombre de séismes équivalant à celui enregistré pendant tout le 20e siècle-

Les conséquences sur les paysages, l’économie, le tourisme avec la demande de classement de la grotte Chauvet, l’agriculture, seraient tellement bouleversantes pour les territoires qu’elles ont justifié la mobilisation massive de toutes les populations concernées dans des manifestations sans précédent.

Les collectivités locales ont emboîté le pas à ces actions de la base. En effet, l’exploitation des gaz de schiste contredit complètement la politique menée par la région Rhône-Alpes notamment en matière de :

-plan climat de réduction des gaz à effet de serre,

-politique de préservation de la quantité et de la qualité de l’eau,

-politique de préservation des nappes phréatiques,

-développement du territoire basé sur une agriculture écologique,

-démarche santé et environnement,

-risques sismiques.

C’est ainsi que le Conseil Régional Rhône-Alpes a adopté une résolution le 25 février 2011 déclarant son opposition aux gaz de schiste et demandant l’ouverture d’un débat public :

« … la Région Rhône-Alpes, en cohérence avec sa politique de préservation de l’environnement, d’aménagement harmonieux du territoire, les orientations de sa politique agricole et ses engagements en matière de climat :

-Se déclare opposée à toute exploration / recherche ou exploitation du gaz de schiste sur son territoire.

-Affirme la nécessité de l’organisation d’un débat public sur l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole non conventionnel… ».

Il faut noter que le code minier confère le pouvoir sur le sous-sol à l’Etat, et non aux collectivités locales d’où l’importance de la mobilisation des citoyens opposants qui a conduit le gouvernement a interdire la fracturation hydraulique (juillet 2011) puis annuler trois des permis annulés dans notre région (octobre 2011)

Dès lors tout danger est-il écarté ? Il faut constater :

-qu’il reste encore 61 permis après l’annulation des 3 permis annulés,

-que la loi de juillet 2011 d’interdiction de la fracturation hydraulique n’en donne pas une définition et aménage dans son article 4 une possibilité « d’expérimentation à des fins de recherche scientifiques sous contrôle public »

-que Total vient de remettre en cause l’annulation du permis sur notre région en annonçant un recours contre la décision d’annulation -déclaration de M. de Margerie au forum Lyon Libération-

La vigilance reste de mise d’autant plus que les hydrocarbures non conventionnels sont un enjeu géostratégique majeur. C’est ainsi que la Russie, premier producteur de gaz naturel a été devancé par les Etats-Unis avec l’apport des gaz de schiste (2009).

La Pologne, qui préside actuellement l’Union européenne, a la réserve la plus importante d’Europe de gaz de schiste autour de Gdansk. Elle a accordé plus de 100 permis à des sociétés américaines espérant la sécurité gazière par rapport à la Russie dès 2035 avec des réserves de gaz pour 3 siècles.

Sur le plan européen, la loi française contre la fracturation hydraulique est très bien reçue dans de nombreux pays qui la considèrent comme un exemple. Les Bulgares sont très inquiets de la répercussion du gaz de schiste sur leur agriculture. La Suède a abandonné la filière.

L’Allemagne est en phase d’exploration mais la population n’en veut pas. La Commission européenne est favorable aux gaz de schiste alors que le Parlement européen attend des garanties.

Les gaz de schiste sont-ils une source d’énergie rentable ?

Si l’on tient compte du coût des énergies investies, des coûts de transports, de dépollution et de restauration de l’environnement, de l’impact sur le profil économique de notre région, la réponse est négative.

Question du modérateur :

La Région Rhône-Alpes est la 1ère région productrice d’électricité nucléaire et renouvelable, assure 22 % de la production française avec 120 centrales hydrauliques et 4 centrales nucléaires.

Le poids socio-économique de la filière est très important : 20 000 emplois directs outre 350 entreprises régionales impliquées et des centres de recherche tel que le CEA à l’origine de

26 % des brevets dans la technique du nucléaire.

Quel profil énergétique pour Rhône-Alpes et quelles évolutions peut-on attendre ?

Le nucléaire implique un choix de société de même type que celui qui commande la réponse à l’extraction des hydrocarbures non conventionnels.

La nécessité de réduire l’utilisation des énergies fossiles en raison de leur raréfaction mais aussi du dégagement des gaz à effet de serre peut appeler deux réponses : l’utilisation du nucléaire ou l’orientation vers la transition énergétique.

L’utilisation du nucléaire.

C’est une énergie puissante et invisible mais qui pose le problème des déchets et celui des conséquences des accidents.

La filière nucléaire est une filière fortement capitalistique et contrairement à ce qui est affirmé en définitive pauvre en emplois.

Elle a assuré jusqu’à ces derniers temps un approvisionnement en électricité continu et à bon marché. L’utilisation du nucléaire s’est décidée après le 1er choc pétrolier de 1973 dans une période où le crédit était facile, mais  sans tenir compte du coût du démantèlement des centrales, de la gestion des déchets et des risques nucléaires c’est-à-dire en définitive que le nucléaire s’est constitué sous forme de dette pour les générations futures.

Les ressources d’uranium seront taries dans 50 ans. L’exploitation de l’uranium au Niger se fait sur la base d’un contrat qu’Areva a conclu avant la décolonisation avec un coût social et environnemental insupportables.

Le prix de l’électricité va doubler dans les années à venir même si l’on garde l’énergie nucléaire. Le nucléaire représente 17 % des énergies consommées, 80 % de l’énergie consommée est importée.

Selon les statistiques des assurances, il y a plus de risque à subir une catastrophe nucléaire qu’un accident d’avion et une catastrophe majeure est à prévoir dans les dix années dans le monde. Il faut noter également qu’aucune compagnie d’assurances ne couvre les conséquences d’un accident nucléaire.

La transition énergétique

qui à la fois diminue l’utilisation des énergies fossiles et évite les risques et la gestion des déchets liés au nucléaire.

La transition énergétique va de pair avec une gouvernance énergétique décentralisée, l’utilisation d’un bouquet d’énergies, la sobriété et l’efficacité énergétique.

L’utilisation concomitante de diverses sources -solaire, éolien, hydraulique, centrales au fil de l’eau, utilisation de steps comme en Suisse qui nous achète de l’électricité au bas tarif de nuit pour alimenter les turbines qui remontent l’eau dans un réservoir supérieur qui a son tour produit de l’électricité hydraulique dans la journée- doit être encouragée par une politique volontariste des collectivités locales allant de pair avec la formation des jeunes et l’amélioration des compétences dans ces nouveaux métiers.

Pour contribuer à la sobriété, il faudrait diminuer  la consommation énergétique des bâtiments aujourd’hui de 350 kwh/m2. On peut atteindre 80 kwh/m2 avec une politique forte d’isolation des bâtiments.

En ce qui concerne l’efficacité, la fabrication d’électricité à partir de n’importe quelle source d’énergie primaire (uranium, gaz, charbon..) implique l’utilisation d’une unité d’énergie primaire pour l’obtention de 0,25 unité d’énergie chez l’utilisateur final. Cette perte de 75 % de l’énergie utilisée est due notamment à la perte sur le parcours du transport de l’électricité.

Les dépenses d’énergie font partie des dépenses contraintes des ménages et dans la période de 1979 à 2005, on constate que pour les 20 % de la population les plus pauvres les dépenses contraintes (essentiellement loyer et énergie) sont passées de 24 à 48 % et posent le problème de la précarité énergétique.

La précarité énergétique est atteinte par les ménages qui  consacrent  plus de 10 % de leur budget pour l’énergie. Cette précarité se rajoute à la fragilité économique, la vulnérabilité sociale (moins de 25 ans, plus de 65 ans, 3 enfants et plus) et le logement dans un immeuble antérieur à 1975.

20 % de la population soit 1/5 va basculer dans la pauvreté à cause du prix de l’énergie qui augmente.

Déjà en Grande-Bretagne, on déplore le décès de 3000 personnes par an en raison de la précarité énergétique.

Il faut organiser l’économie de l’énergie. La liberté d’aller et de venir ne se fait plus par la voiture.

La transition énergétique peut générer 700 000 emplois directs et indirects, 2 fois plus que le nucléaire.