LA GRÈCE A L’ÉPREUVE DES DÉFIS EUROPÉENS DE LA DETTE ET DE LA MIGRATION

CONFÉRENCE – DÉBAT
19 mai 2016  Mairie du 7e

« La Grèce à l’épreuve des défis européens de la dette et de la migration »

Monsieur Romaric GODIN
Rédacteur en chef adjoint de LA TRIBUNE

Introduction par Mme Antonia BLEY,
Présidente du Pôle européen de Lyon et Rhône-Alpes.

Aujourd’hui, nous allons nous arrêter sur la Grèce, la dette et la migration.

Ce pays, au-delà de ses spécificités dues à l’ancienneté de son histoire et à sa place géostratégique, connaît de façon aigüe les difficultés de quasiment tous les pays européens et pour certains observateurs elle serait même devenue le laboratoire de l’Union européenne de démonstration de l’absence d’alternative politique.

L’histoire de l’Europe a commencé avec l’histoire du monde grec 3 000 avant notre ère avec la civilisation minoenne en Crête.

Le monde grec dans l’antiquité s’est développé principalement en Grèce et en Asie Mineure  qui lui a donné outre l’immense Homère, ses premiers philosophes et ses premiers savants comme Thalès de Milet.

Marseille a été fondée par les Phocéens, Grecs d’Asie Mineure qui y créent la première université sur le sol de la France actuelle, d’où est issu  l’illustre géographe  Pytheas.

La Grèce a été la matrice de la civilisation européenne et lui a  légué, outre son nom, une culture construite autour de l’humain, qui en a fait sa spécificité et son rayonnement qu’Alexandre le Grand a porté jusqu’aux Indes.

En – 146 le monde grec est conquis par Rome qui adopte sa culture et son univers intellectuel. 3 des 4 évangiles, pourtant écrits au temps de  l’empire romain, l’ont été en grec et le christianisme s’est développé dans ce monde-là. Ce sont d’ailleurs des Grecs d’Asie mineure (Pothin, Irénée, Alexandre) qui ont introduit le christianisme à Lugdunum, et conféré en raison de cette ancienneté le titre de primat des Gaules à l’archevêque de Lyon.

Après la chute de Rome en 476,  Constantinople tient tête aux invasions de tous horizons pendant 1000 ans et créée une culture brillante basée sur l’hellénisme et l’orthodoxie, qui a fortement influencé l’Occident  mais aussi les pays slaves en  leur léguant l’alphabet cyrillique et la religion orthodoxe.

1453  la conquête de Constantinople marque une rupture dans le monde grec mais aussi en Europe. C’est depuis Constantinople que les Turcs lancent leurs assauts contre les autres pays européens. Coalisés par la menace les pays européens remportent deux victoires décisives : sur mer  en 1571  à la bataille de Lépante  dont le souvenir est évoqué sur une mosaïque latérale gauche de la cathédrale de Fourvière et sur terre à Vienne en 1683, victoire qui amorce le déclin de l’empire ottoman.

Dès le 14e siècle sous la menace turque mais plus encore avec la chute de Constantinople les savants grecs vinrent se réfugier principalement en Italie, allumant l’étincelle de la Renaissance qui marque le renouveau de l’humanisme en Europe.

Pendant 5 siècles, la conquête turque a soumis le monde grec et tous les pays  balkaniques au régime de la dhimmitude. Il s’agit d’un modèle de société basé sur l’inégalité selon un critère religieux où seuls les musulmans sont  citoyens. Les non musulmans sont les dhimmis, dont le témoignage en justice ne peut valoir contre un musulman, soumis à une taxe spéciale, une capitation le kharaç à la razzia des enfants, garçons pour en faire des janissaires et filles pour les harems.

Les Turcs choisissent en qualité d’interfaces des peuples soumis, les dignitaires religieux. En conséquence, l’identité des peuples conquis s’est fixée et développée autour de leur religion. C’est l’église orthodoxe qui administre l’état civil des  Grecs et assure la transmission de la foi et de la langue. Pour ces raisons, l’église orthodoxe a été structurante pour le pays et a un rôle qui peut étonner l’observateur non averti.

Dans ces conditions difficiles, la population survit en conservant sa culture t sa langue. Les classes supérieures et les chefs d’entreprises continuent à jouer un grand rôle dans l’empire ottoman, (phanariotes et les hospodars) et seront plus tard un soutien actif de grande importance pour la révolution.

En 1821 les Grecs se soulèvent en premier contre les Turcs dans un empire ottoman sur son déclin en s’appuyant sur des réseaux de résistants armés,  la marine, et sur les Grecs de la diaspora.

Les massacres de représailles perpétrés sur les populations émeuvent l’opinion publique européenne, notamment le massacre de 70 000 personnes de l’ile de Chios en 1822 immortalisés par Delacroix et l’opinion publique fait pression sur les gouvernements.

La lutte est sans merci puisque sur un total de population  des provinces révoltées du sud de la Grèce que l’on estime à 700 000, 200 000 personnes périssent.

Mais les Turcs appellent le sultan d’Égypte à la rescousse et les forces grecques sont sur le point d’être submergées.

Les 3 puissances européennes de l’époque, RU, Russie et France sont intéressées à l’émergence d’un pays indépendant, mais dans un statut de pays périphérique maintenu dans leur allégeance et apte à préserver leurs intérêts respectifs en méditerranée orientale.

Au prix du sang, la Grèce obtient d’abord son autonomie sous suzeraineté turque. Mais les Turcs ne respectant pas ces accords, les 3 puissances européennes coalisées interviennent à Navarin et anéantissent la flotte turque. C’est ainsi que La Grèce, alors seulement la partie du sud du pays, obtient son indépendance par le Traité de Londres en 1830. Les 3 puissances européennes jouent alors un rôle déterminant dans l’émergence de la Grèce malgré l’opposition des allemands adeptes du traité de Vienne de 1815 et du maintien des grands empires.

 Au 19e siècle, l’impact de l’intervention des 3 grandes puissances a été tel qu’il a modelé le paysage politique grec, morcelé en parti francophile, anglophile et russophile, et cet intérêt a eu un coût politique et financier pour le pays.

Coût Politique d’abord. Le premier gouverneur de Grèce élu par la première assemblée est un républicain, homme de très grande envergure, ancien diplomate du tsar, Jean Capodistria. Son ambition : mettre un terme aux querelles internes et établir une société démocratique. Mais il est assassiné en 1831, certains redoutant son ancien lien avec la Russie. C’est la fin malheureuse de la première tentative de gouvernement démocratique souverain.

Coût financier ensuite. En effet, la Grèce a besoin de fonds pour soutenir son effort de guerre et construire le nouvel état. Elle s’adresse à la première puissance financière de l’époque Londres qui lui accorde 2 prêts importants en 1824 et 1825 pour un montant de 2,8 ms de livres représentant 120 % de son PIB.

J’appelle votre attention sur les conditions de ce prêt. En effet les titres émis de 100 livres sont achetés 60 livres, mais les intérêts à un taux important sont calculés sur 100 l et la Grèce doit rembourser  l’intégralité de l’emprunt. En clair  la Grèce, doit rembourser 2,8 ms plus les intérêts mais ne reçoit que 1,3 .ms soit environ 40 % du montant de l’emprunt.

Ce premier emprunt fait entrer la Grèce dans le cycle des dettes irremboursables.

En 1829, ne pouvant faire face, la Grèce sollicite la remise d’une partie de sa dette. Mais les créanciers refusent et revoient le protocole de Londres.

C’est ainsi qu’en 1832, un an après l’assassinat de Capodistria, la Grèce se voit imposer par les puissances tutélaires, une monarchie absolue dévolue à Otto de Wittelsbach prince de Bavière.

En même temps, les 3 puissances prennent des mesures pour obtenir le remboursement intégral des emprunts de 1824-1825. Pour ce faire, un nouvel emprunt de 60 ms de fr est alors émis par la Banque Rothschild de Paris garanti par les 3 puissances et versé en 3 tranches.

J’appelle votre attention sur la destination des fonds des deux premières tranches qui est fort éclairante.

-10 % rémunération de la commission de la banque,
-15 % paiement anticipé d’intérêts pour les acheteurs de titres,

-30 % dédommagement pour l’indépendance versé aux Turcs,

-5 % rémunération de la garantie des 3 puissances –

-15 % au roi Othon pour ses frais et sa cour (1)

La Grèce a reçu seulement 20 % sur cet emprunt, un taux encore plus faible qu’en 1824

Mais ce qui ce qui est encore plus remarquable dans  le montage de ce prêt, c’est l’intervention du  roi de Bavière, père de Othon, avant l’investiture de son fils. donc sans aucune légitimité. Il signe au nom de la Grèce avec les 3 puissances, l’engagement pour le pays de la priorité absolue du remboursement de la dette.

Le remboursement de l’emprunt se fait donc au détriment de l’économie et des intérêts du pays qui est maintenu dans une pauvreté criante, des services publics détruits il ne restait plus qu’une 20 de profs pour le pays.

En 1838 et 1843 2 suspensions de paiement en raison de l’énormité des intérêts qui atteignent 43 % des revenus de l’état.  Les 3 puissances tutélaires réunies à nouveau en conférence à Londres condamnent la Grèce et lui impose de x 4 les coupes budgétaires prévues provoquant un soulèvement populaire.

Othon est dans l’impossibilité de répondre à ces exigences. Alors France et Royaume uni occupent le port du Pirée de 1854 à 1856, et perçoivent  directement les revenus de la douane, empêchant au passage l’extension territoriale de la Grèce à la Thessalie et à la Macédoine.

Depuis sa renaissance, la Grèce a connu quatre grandes crises de la dette avec  mises sous tutelle et paiement direct  des créanciers sur les ressources du pays

L’Allemagne devient pour la première fois créancière aux côtés des 3 alliés traditionnels après la guerre de 1897, qui accorde un prêt de 6 ms de livres pour dédommager les Turcs et les empêcher d’occuper la Grèce.

La Grèce a terminé de rembourser la France et le Royaume-Uni pour l’emprunt de 1833 dans les années 1930 un siècle après dans les années 1930, juste pour affronter les effets de la crise de 1929.

Il est certain que le poids du remboursement de la dette et la tutelle exercée par les grandes puissances européennes ont été des facteurs déterminants dans l’incapacité du pays de connaître un décollage économique, et ce pays que l’on définit souvent comme pauvre est en réalité un pays appauvri.

Pour dessiner ses frontières actuelles, la Grèce a dû mener 5 guerres contre les Turcs en un siècle qui ont pesé sur ses finances et sur son endettement. Sa place géographique, impose à la Grèce de supporter des frais d’armements importants et ceci est encore vrai de nos jours.

Le 20e siècle, vit se succéder les guerres mondiales.

En prolongement de la première guerre mondiale, une guerre contre la Turquie s’est terminée en 1922 par le massacre des Grecs d’Asie Mineure présents depuis la plus haute antiquité, déracinant 3500 ans d’hellénisme, Ces massacres sont contemporains de ceux des Arméniens et des Assyro-Chaldéens. Selon l’évaluation des historiens 1,5 ms de Grecs périssent, autant se réfugient en Grèce qui doit alors accueillir l’équivalent du tiers de sa population.

Le 28 octobre 1940 L’Italie fasciste, attaque la Grèce qui réussit à arrêter l’offensive et contraint l’Italie à battre en retraite. A remarquer qu’il s’agit là de  la  1ère victoire sur les forces de l’axe.

Churchill, prévoyant l’attaque prochaine des Allemands envoie 50 000 hommes en Grèce pour la sauvegarde des intérêts britanniques en mars 1941.

Le roi Georges 2 et son gouvernement autoritaire partent en exil à Londres, tandis que l’armée grecque se réfugie en Egypte et combat aux côtés de l’armée britannique.

Le pays est livré aux Allemands qui captent toutes les richesses conduisant la population à mourir de faim. Pendant l’hiver 1941-1942, 300 000 personnes périssent de faim.

Il faut souligner des évènements remarquables qui se sont produits dans le pays. En effet, ces conditions dramatiques n’ont pas  réussi à abattre la population qui s’est lancée dans une résistance massive et acharnée en formant, dès septembre 1941,  le front grec de libération EAM, autour du parti communiste le KKE, premier intéressé à combattre le fascisme.

L’EAM a rassemblé autour du parti communiste, des gens de toutes convictions notamment l’Eglise qui l’a soutenu, avec le double objectif de chasser les Allemands et d’établir un gouvernement démocratique et souverain. Le peuple a donc tenté de faire de ce malheur une opportunité démocratique.

L’EAM avec son bras armé l’ELAS, armée laïque de libération, alimenté en armes par l’URSS à travers la Yougoslavie, a réussi à libérer 90 % du territoire continental hors les grandes villes Athènes et Thessalonique et pouvait compter sur l’appui de 90 % de la population (rapport allemand de 1944) et à installer un embryon de contre état.  Cette situation qui peut paraître encourageante,  paraît au contraire inquiétante pour les Britanniques  soucieux de  leurs intérêts en Méditerranée orientale.

Ils entreprennent alors une épuration de l’armée grecque stationnée en Egypte soupçonnée d’être favorable à l’EAM. La moitié de ses effectifs 20000 militaires sont envoyés en camps de concentration dans les déserts de Lybie et d’Erythrée. En même temps les Britanniques préparent leur débarquement à Athènes après le départ des Allemands.

Les Allemands quittent la Grèce le 12 octobre 1944. C’est exactement 3 jours après, que les Britanniques arrivent.

Le bilan de l’occupation allemande : la population de 90 villes et villages massacrée,  1700 villages brulés, perte de 13 % de sa population, pillage de l’or de la Banque de Grèce, et des antiquités, et souscription d’un emprunt pour payer l’occupant.

Certains économistes, comme le libéral Jacques Delpla estime la dette de l’Allemagne envers la Grèce, au titre de la seconde guerre mondiale à 575 mds €. (2)

Mais, la résistance grecque a coûté à l’Allemagne la perte de la fine fleur de la Luftwafe parachutée en Crête et la perte de 2 mois précieux  dans sa marche vers l’Est, qui lui vaut d’arriver à Stalingrad en hiver.

Après la fin des hostilités, la guerre froide coupe l’Europe en 2 blocs, et à la conférence de Yalta (4-11 février 1945) entérinant l’accord précédent Eden-Staline, la Grèce tombe dans la zone d’influence Britannique.

Les résistants grecs réfugiés dans la montagne avec l’objectif de libérer le pays de l’influence britannique, sont désormais pris au piège sans espoir d’être ravitaillés en armes via la Yougoslavie. Ils acceptent unilatéralement de déposer les armes aux accords de Varkiza 3 jours après Yalta.

Mais les Britanniques sont décidés à en finir et installent une terreur blanche dans le pays poussant les résistants à se réfugier dans les montagnes de Macédoine et c’est la guerre civile qui a duré de 1946 à 1949.

Les britanniques quittent le pays en 1947 et c’est l’arrivée des Américains qui en finissent avec l’armée démocratique en larguant 388 bombes au napalm sur les monts Grammos et Vitsi.

Le bilan de la guerre civile: 158 000 victimes, 40 000 envoyés dans les camps de concentration, 65 000 exilés, des dégâts matériels laissant un pays quasiment dans l’état de 1944, Les exécutions des partisans (5000 personnes) ont continué bien après la fin de la guerre civile, jusqu’en 1955.

Cette guerre civile, moins connue que celle d’Espagne, a laissé une très grande cicatrice dans le pays, séparant parfois les membres d’une même famille.

Ainsi l’ordre est revenu  et chacun a pu reprendre sa place, au gouvernement et sur le trône.

A signaler, un épisode de dictature militaire entre 1967 et 1974 connu sous le nom de « dictature des colonels » nouvelle période noire de répression où la dette fut multipliée par 4, épisode auquel les Etats Unis ne sont pas étrangers.

Nouveaux venus sur la scène internationale dans l’espace de la Méditerranée orientale en 1945 quelle est la vision des Américains pour la Grèce ? C’est le grand diplomate Henry Kissinger, conseiller de la présidence des Etats Uns qui répond : « Nous devons  frapper les Grecs…..pour éliminer chez eux toute possibilité de progrès, de prééminence et de domination, et ainsi qu’ils n’aient plus rien à dire dans les Balkans, la Méditerranée et le Moyen Orient, qui sont des zones stratégiques d’une importance vitale pour la politique des Etats-Unis »

Après la chute des colonels, la Grèce abolit par référendum la royauté en 1975.

Se succèdent alors des gouvernements de droite ND, Karamanlis,  ou de gauche modéré, PASOK Papandreou, sur cette structure de souveraineté limitée, avec sa conséquence d’organisation clientéliste de la société. Comme le dit l’historien Tsoucalas que je cite « Les forces sociales et politiques du pays n’ont jamais été en mesure de se développer ou de fonctionner de manière autonome, le peuple grec n’a jamais pu être maître de son destin » (3)

En 1981, le parti socialiste d’Andrés Papandréou accède au pouvoir en même temps  que la Grèce devient membre de l’UE avec l’espérance de devenir membre d’une grande famille européenne démocratique et indépendante.

C’est d’abord  une période de forte croissance et d’amélioration des conditions de vie de la population. En 2001, la Grèce rentre dans la zone euro.

A partir de 2007 la crise économique mondiale atteint la Grèce. En 2008, les banques en difficulté sont renflouées par les contribuables, et le pays doit faire face à une crise budgétaire.

Aux élections de 2010 c’est la gauche modérée qui arrive au pouvoir et annonce un déficit record jetant la Grèce dans l’œil du cyclone.

Les plans de sauvetage se succèdent paupérisant le pays et l’amenant à un niveau d’après-guerre mais en vain  Le pays se trouve toujours en 2016 écrasé par une dette maitrisée par l’Allemagne et aux avants postes pour accueillir des migrants maîtrisés par la Turquie. Equation difficile pour le pays, mais c’est également les deux grands défis du moment pour l’UE.

(1) Reinhart et Trebesch, 2015. The pitfalls of external dependence : Greece, 1829-2015, page 22 ; Kofas, Jon. 1981. Financial Relations of Greece and the Great Powers 1832-1862. Boulder : East European Monographs, page 25.

(2) interview de Jacques Delpla dans les Echos du 22 juin 2011

(3) chapitre 1 du livre de Constantin Tsoucalas, La Grèce de l’indépendance aux colonels, Editions F. Maspéro, Paris, 1970.s

C’est à Monsieur Romaric GODIN, auteur d’analyses remarquables sur la situation de la Grèce tout au long de ces crises, que nous demandons de nous expliquer le mécanisme des plans de sauvetage actuels, de nous dire également si des solutions réelles se dessinent la Grèce.

Actuellement rédacteur en chef adjoint du journal la Tribune, vous vous êtes d’abord  intéressés aux marchés. puis correspondant à Francfort, vous avez suivi les débuts de la crise de la zone euro. Vous suivez maintenant depuis Paris les effets de cette crise en Europe sous ses aspects économiques, monétaires et politiques.

Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation et de nous faire l’honneur de votre présence.

 

« LA GRÈCE A L’ÉPREUVE DE LA DETTE ET DES MIGRATIONS »

par Romaric GODIN

Rédacteur en chef adjoint de La Tribune

 

Etat de la Grèce sous le 3e memorandum

Depuis 2010, 2 memoranda se sont succédés et un 3e en 2015.

Le PIB s’est rétracté,  selon le point de départ retenu,  de 25 à 28 %.

Historiquement ce n’est pas une chute inédite mais c’est un exemple fort rare en temps de paix et en Occident.

L’état du pays est proche de celui d’un  pays après une guerre ou un évènement de bouleversement majeur, comme par exemple la chute du système soviétique. Dans le cadre de l’Union européenne, la chute est inédite et violente.

La stabilisation atteinte en 2014-2015 est stoppée par la mise en œuvre du 3e memorandum et la crise de l’été 2015, où le gouvernement a dû instituer un contrôle des changes pour sauver ce qui pouvait l’être mais a eu pour effet de bloquer en même temps les investissements nouveaux.

Le contrôle des capitaux institué en été 2015  reste en vigueur aujourd’hui, et limite d’autant plus les investissements, qu’il n’y a aucun moteur à la reprise économique, contrairement à la situation de l’Islande qui a connu une forte croissance après un contrôle des changes en raison de la présence de  moteurs économiques. Il ne reste que le secteur  touristique qui n’a cependant pas de perspective de croissance car il a connu une forte évolution et profite moins à la population hellénique.

Les derniers chiffres publiés révèlent une chute du PIB de la Grèce de -1,6 % alors que dans le même temps la zone euro connaît une croissance de + 0,5 %.

La Commission européenne fait des prévisions de rebond de l’économie d’une hausse de 2,7 % du PIB en 2017, mais rien n’est moins sûr.

En effet, il s’avère que les banques grecques ont été recapitalisées deux fois, mais qu’elles n’ont pas de vrais actifs, que les prêts aux entreprises et aux ménages sont irrécupérables. Des accords sont en cours pour confier à un fonds américain la récupération des fonds possibles.

La dette privée pèsera sur la consommation.

Ensuite, la réforme des retraites imposées par les créanciers épargne relativement l’existant mas promet une baisse de revenus pour les futurs retraités conduisant à la constitution d’une épargne de précaution. Cette baisse future des revenus joue un rôle crucial dans la solidarité intergénérationnelle et pèsera donc sur la consommation et l’investissement des ménages, l’argent des retraites étant un élément de solidarité des générations en raison du chômage des jeunes qui avoisine les 60 %.

De surcroît, le 24 mai, l’Eurogroupe imposera de nouvelles mesures récessives : augmentation de l’impôt sur le revenu qui pèsera sur les classes moyennes et aussi sur les plus fragiles avec la baisse du seuil de non-imposition, l’augmentation de la TVA,  et surtout une demande nouvelle de l’Eurogroupe d’un mécanisme automatique de correction pour atteindre l’objectif d’un excédent budgétaire de 3,5 % en 2018. Tout cela conduit à la perte de confiance dans l’avenir.

Ces trois memoranda ont détruit ce qui restait de l’appareil productif du pays et ont réduit l’état en appliquant une logique comptable, situation rendant difficile l’élan nécessaire à la reprise de l’économie.

La dette avoisine les 200 % du PIB. Le mécanisme européen de stabilité (MES) propose de respecter l’excédent budgétaire jusqu’en 2040 afin d’assurer le remboursement des créanciers.

44 % des entreprises de technologie ont quitté ou pensent quitter le pays faute de visibilité et de marché intérieur.

L’augmentation des taxes va entraîner une augmentation de l’économie parallèle.

Dans ces conditions, ne pouvant espérer une augmentation suffisante des recettes, le seul moyen d’atteindre l’objectif budgétaire est l’augmentation des impôts, ce qui veut dire que le pays s’inscrit dans une logique d’austérité perpétuelle et non dans une logique de reconstruction.

Le bilan est  négatif et cet échec apparaît dans les prévisions mêmes du FMI. En effet, le FMI prévoyait en 2010 – 1 % de PIB pour  la période 2010-2014 alors qu’en réalité, le recul du PIB est de – 22 %.  Les prévisions de croissance du FMI pour 2013 ne se sont pas réalisées.

 

Bilan social

Le chômage atteint 25 % des actifs adultes et 60 % des jeunes.

Les revenus se sont réduits de 33 %.

L’émigration est massive environ 10 % de la population et notamment des diplômés.

Le niveau de vie enregistre une baisse de 20 %, désormais inférieur d’un quart à la moyenne de l’Union européenne.

C’est un désastre social.

Cette politique a aggravé les inégalités dans un pays déjà inégalitaire et hiérarchisé.

La base de la population est soumise à la retenue à la source de ses impôts alors que les armateurs peuvent trouver des échappatoires.

Tsipras tente de rééquilibrer cet effort mais il est peu entendu des créanciers.

 

Bilan politique et institutionnel

Le premier mémorandum avec l’instauration de la politique d’austérité a détruit le PASOK, un des 2 piliers avec NOUVELLE DEMOCRATIE du paysage politique du pays, et a achevé d’en faire un parti de 2e ordre lorsqu’il est devenu un simple soutien de Papademos (2011-12) et Samaras (2012-15).

En janvier 2015, SYRIZA a remplacé en partie le PASOK au sein de la gauche grecque mais son échec en été 2015 a conduit à un rejet profond du politique. On assiste à une atomisation du monde politique avec l’émergence de nouveaux partis et de partis fantaisistes, et à une montée de l’abstention.

NOUVELLE DEMOCRATIE, l’autre parti politique traditionnel, a perdu entre un tiers et la moitié de ses partisans, mais reste assez fort compte tenu de ses soutiens économiques, européens et médiatiques. Elle incarne une alternative de soumission. Elle est susceptible de mener une stratégie d’apaisement envers les créanciers mais ne représente pas une alternative crédible.

Il s’ensuit une atomisation du paysage politique grec, un désaveu de la politique. Ainsi aux élections de septembre 2015, le taux d’abstention a atteint 52 % dans un pays où le vote est obligatoire et conduit normalement à une participation de l’ordre de 80 %.

L’affaiblissement politique est le fruit d’une impuissance de l’état résultant  des choix de la troïka qui a fait de l’état un état captateur conduisant la population à s’interroger sur la légitimité de l’action étatique et ceci explique les problèmes rencontrés pour obtenir le paiement de l’impôt.

On sait cette impuissance historique, principalement parce que l’état a été perçu comme importé, étranger, captateur.

Or les créanciers ont renforcé ce sentiment, derrière leurs prétentions à réformer et moderniser la Grèce. Une contradiction : entre une idéologie qui rejette l’état fort alors que  la Grèce a besoin d’un état. Toutes les mesures ont été comptables et se sont traduites par un retrait de l’état ou un état captateur. La logique ottomane est restée à l’œuvre.

A cela s’est ajoutée une défiance vis-à-vis des institutions de la part des créanciers qui a conduit à vider la politique grecque de son sens. La logique de la troïka est d’imposer ses choix politiques par téléphone. La Grèce ne peut pas légiférer sans l’accord de la troïka. Le réajustement du 3e memorandum avec ses mesures coercitives automatiques fait de la Vouli (Assemblée Nationale) une simple chambre d’enregistrement.

Enfin le traumatisme du référendum du 5 juillet 2015, où la victoire du non au référendum s’est transformée en oui à un nouveau memorandum encore plus austère dès le 13 juillet 2015, né d’une volonté punitive des créanciers, a conduit à ôter toute illusion : à quoi bon voter ?

La Grèce n’a aucune autonomie. Elle est aujourd’hui une colonie de la dette.

L’intervention des créanciers aboutissant à l’élection d’un gouvernement impuissant, pose la question de sa légitimité démocratique et conduit  à un affaiblissement de la démocratie.

 

La Grèce est une colonie de la dette, la Zone euro gère son économie et sa politique.

La Grèce paie des excès d’endettements entre 2005 et 2010.

En 2010, elle atteint un équilibre budgétaire pour rétablir la confiance des investisseurs et regagner l’accès aux marchés.

En 2010, la Grèce a demandé un rabais sur sa dette qui lui a été refusé. Il n’y avait pas de faillite possible pour la Grèce et cela est de la responsabilité des dirigeants de l’époque,

  1. Merkel et N. Sarkozy, pour deux  raisons :

-la première raison est la sauvegarde du secteur bancaire français et allemand, très exposé dans le pays : 90 milliards. On ne voulait pas ouvrir la boîte de Pandore après la crise de 2007-2008.

En 2010, on a décidé un programme de réduction de la dette de la Grèce au FMI en conformité avec le règlement intérieur de l’institution qui impose que les prêts accordés puissent être remboursés, mais le président d’alors, Dominique Strauss Kahn a refusé de présenter ce programme au Conseil européen de septembre sachant qu’il allait heurter les intérêts du secteur bancaire de la France et de l’Allemagne.

En définitive, c’est la BCE qui a racheté, à 60 % de leur valeur, les titres de la dette grecque détenus par les banques françaises et allemandes leur permettant  ainsi de se débarrasser de la dette grecque mais en la transférant en définitive sur les contribuables européens.

-la seconde raison est la politique intérieure de l’Allemagne. Merkel répétait lors des élections en Rhénanie-Westphalie que « la Grèce ne coûtera pas un euro au contribuable allemand ».

En conséquence, la Grèce a été ainsi contrainte à une cavalerie financière, contracter de nouveaux emprunts pour rembourser les anciens.

Jusqu’en 2012, les créanciers de la Grèce étaient des créanciers privés puis ce fut le FMI et la BCE et 10 milliards à rembourser aux « fonds vautour ».

En mars 2012, les banques allemandes et françaises n’étaient plus exposées, on a procédé à une restructuration de la dette, qui s’est révélé un échec absolu.

En effet, la coupe de 100 milliards décidée dans le stock de dettes a concerné pour 30 à 40 milliards les banques grecques,  et on a fait appel aux contribuables grecs pour les renflouer. On a également mis à contribution les caisses de retraite et la sécurité sociale. Le coût a été également supporté par les petits porteurs comme à Chypre.

En définitive ces 100 milliards ont été payés par les petits porteurs, les fonds de pension grecs, les banques grecques et les banques chypriotes les conduisant ainsi à la crise d’avril 2013 à Chypre.

Tsipras avait la tâche de mener une pause dans l’austérité, promise dès que la Grèce aurait atteint un excédent budgétaire, ce qui fut le cas dès 2013, mais cette pause n’a jamais été accordée par les créanciers en dépit des demandes réitérées. Depuis 2015 avec un excédent de 1,8 %, on peut dire que la Grèce est un des pays les plus vertueux en matière budgétaire.

95 % de l’aide n’est pas allée à la Grèce comme vient de le confirmer une étude récente publiée par le Handelsblatt.

Le Handelsblatt est le journal de référence du milieu des affaires outre-Rhin. A ce titre, et comme l’essentiel de la presse conservatrice allemande, il a régulièrement eu la dent dure contre la Grèce, accusée de refuser les « réformes nécessaires » et de réclamer sans cesse de nouveaux fonds à l’honnête et travailleur contribuable allemand.

Mais en une, ce mercredi 4 mai, le journal a affiché une « exclusivité ». Une étude inédite nous dit-on de l’ESMT, une école de gestion de Berlin, qui parvient à cette conclusion : 95 % de la supposée « aide » à la Grèce est retournée aux banques et aux créanciers du pays.

Un fait connu dont il faut à présent tirer les conséquences …

Pour remédier à la situation, il est essentiel de réduire le stock de dettes et établir un plan de relance du pays.

Mais la politique proposée d’un moratoire des créances jusqu’en 2040, sauf pour le FMI, et l’obligation de dégager un excédent budgétaire garantie par la mise en œuvre de politiques d’austérité automatiques ne va pas dans le bon sens mais répond à une logique de tiers mondialisation du pays.

 

Les réfugiés.

La gestion des réfugiés s’avère parallèle à celle de la dette,  et la Grèce est également traitée sur ce chapitre comme un pays de seconde zone.

Elle se retrouve en première ligne ayant à faire face à deux éléments supplémentaires d’aggravation :

-l’échec du redéploiement défini par la politique européenne  qui concerne en définitive un nombre ridiculement bas de réfugiés, seulement quelques dizaines,

-et la fermeture partielle des frontières de l’Autriche puis des autres pays européens.

L’interdiction du « flush back » institué par le Droit international interdit à la Grèce de renvoyer les émigrés.

En définitive, la Grèce devient un terminus pour les flux de réfugiés, et se retrouve sous la menace de sortie de l’espace Schengen sauf à accepter des hot spots géants sur son territoire qui en font le Calais de l’Europe.

La Grèce est traitée comme un état de seconde zone, maltraité, accusé de tous les maux.

La Grèce est devenue le bouc émissaire alors qu’elle est le révélateur des insuffisances de l’Union européenne, insuffisance de la zone euro, et insuffisance du cadre idéologique des dirigeants de la zone euro.