ACTA ACCORD POUR LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE : QUELLES MENACES POUR NOS LIBERTÉS ?

Conférence débat 2 mai 2012

« ACTA accord pour la protection de la propriété intellectuelle : quelles menaces pour nos libertés ? »

Sandrine BÉLIER députée au Parlement européen,

Commission des Affaires Constitutionnelles

Commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire

Membre de l’Internet Core Group

ACTA anti-counterfeiting trade agreement : traité international contre la contrefaçon sur une échelle mondiale pour la protection des brevets, des marques et de la propriété intellectuelle -droits d’auteur, y compris droits d’auteur en ligne-. Ce traité est très controversé et soulève de nombreuses questions.

Ce traité a été initié par l’industrie pharmaceutique et l’industrie du divertissement.

Il a été impulsé par les Etats-Unis, signé au Japon en 2006 par 38 pays mais curieusement pas par les principaux pays d’origine de la contrefaçon (Chine, Inde…). D’où la première interrogation sur l’efficacité de cet accord en termes de lutte contre la contrefaçon.

Les pays signataires représentent des enjeux commerciaux colossaux, 50 % du commerce international.

ACTA est controversé au point de provoquer :

– une pétition de 2,5 millions de signatures,

– l’absence de signature de 5 états européens dont l’Allemagne,

– l’avis très négatif du contrôleur européen des données personnelles EDPS.

Quels sont les sujets d’inquiétude générés par ce traité ?

– Neutralité du net : la sauvegarde du droit d’auteur en ligne passerait par une surveillance des échanges sur internet. Qui surveille, dans quelles conditions et avec quelles garanties pour les libertés publiques et droits individuels en cause : protection de la vie privée, du secret de la correspondance, liberté d’information, liberté de création,  la présomption d’innocence, crainte de l’établissement d’une régulation de type privé.

l’accès aux médicaments génériques dénoncé par Médecins du Monde et Médecins sans Frontières :  le générique est-il concerné par  la définition de la contrefaçon retenue par ce traité ?

la libre utilisation des semences et soulève une difficulté : le brevet sur le vivant reconnu aujourd’hui aux Etats-Unis mais pas en Union européenne. ACTA ne peut-il pas être vecteur de pression sur la législation future de l’Union européenne ?

– Enfin, si l’on met ACTA en perspective de lois similaires dans ce domaine tant  aux Etats-Unis (lois SOPA, PIPA, CISPA..) qu’en France (LOOPSI et HADOPI), peut-on considérer ACTA comme un pas vers une société de contrôle ?

la procédure suivie. ACTA a été signé par les exécutifs des pays dans la plus grande discrétion, à l’insu des parlements nationaux et du Parlement européen. La Commission européenne a ratifié le traité le 26 janvier 2012. Le Parlement européen va se prononcer en juillet. Où en est-on dans la procédure ?

Voilà quelques unes des interrogations du public soumises à Mme la députée.

LA PROCEDURE

ACTA a été négocié depuis 2006 par 39 pays dans la plus grande discrétion, 39 pays dont notamment l’Union européenne, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon, la Corée du Sud….

Rappelons que les députés européens, depuis le traité de Lisbonne, ont pouvoir en matière de traités internationaux et  doivent donner leur avis conforme.

En l’espèce, le texte, durant les négociations, n’a pas été communiqué à l’ensemble du Parlement. Si la Commission INTA, commission des affaires internationales qui doit donner son avis sur le texte, a bien reçu le texte de la Commission européenne en fin de négociations, chacun des exemplaires transmis à ses membres l’a été sous forme numérotée avec interdiction de reproduction et de diffusion aux autres députés sous peine de sanctions administratives.

Le Parlement européen a adopté deux résolutions demandant la transmission du texte dont la dernière a été adoptée par 633 voix sur un total de 753 députés. Il a fallu deux ans pour obtenir le texte dont la version finale a été publiée en décembre 2010.

La Commission européenne a alors changé de tactique et a mis en œuvre une accélération des procédures d’adoption, alors qu’une grande majorité des députés ne connaissait pas le texte.

En janvier 2012, 22 pays de l’Union européenne signent ACTA. La signature des 5 autres- dont l’Allemagne – est officiellement reportée pour « raisons techniques ». Pour qu’ACTA entre en vigueur une double ratification de l’Union et des Etats membre est nécessaire.

En marge d’ACTA, la fermeture spectaculaire du site Megaupload par le département de la Justice des Etats-Unis avec l’appui du FBI a généré une prise de conscience de l’ensemble des internautes. La mobilisation citoyenne a fait évoluer les positions au-delà du simple cas de Megaupload et renforcé la contestation anti-ACTA.

Des pays comme la Pologne, la République Tchèque, marqués pas la censure sous l’ère communiste, se sont pour l’heure désengagés du processus de ratification d’ACTA. 12 pays ont à cette heure gelé le processus de ratification d’ACTA, dont les Pays-Bas et l’Allemagne dans l’attente du vote du Parlement européen ou, à défaut de l’avis de la CJUE.

Certains états ont reculé, des manifestations importantes ont eu lieu en Allemagne, Pologne et France.

Angela Merkel s’en remet au Parlement européen. Martin Schulz, président socialiste du Parlement européen, a quant à lui émis des réserves quant au texte, le jugeant déséquilibré au profit des ayants droit.

En 5 semaines, la pétition initiée par Avaaz recueille 2,5 millions de signatures, première pétition de cette importance. David Martin, député rapporteur socialiste, d’abord favorable à ACTA évolue et organise un débat nécessitant l’ouverture de 2 salles de 300 personnes. Finalement, David Martin préconise un vote de rejet.

Le groupe des libéraux ALDE,  centre droit et gauche, s’opposerait suite à l’avis de l’EDPS (contrôleur européen des données personnelles) qui rejoint l’étude Korff missionnée par le groupe parlementaire des Verts/ALE et qui estime le texte contraire à la convention européenne des droits de l’homme et à la charte des droits fondamentaux.

Le rapport de force étant maintenant du côté des opposants, la Commission européenne, change de tactique et essaie de gagner du temps en saisissant la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’espoir que la mobilisation s’épuise et que les lobbies aient le temps d’aider  à contrer l’action.

Cinq commissions sont saisies pour donner leur avis : INTA, la commission des libertés publiques, la commission des affaires juridiques, la commission de l’Industrie, technique et recherche et la commission développement.

Le Parlement européen devrait voter lors de la session parlementaire du 3 au 5 juillet 2012. Aujourd’hui, une courte majorité de députés seraient favorable au rejet du texte.

LE CONTENU DU TRAITE.

Ce traité est censé viser essentiellement la contrefaçon originaire de Chine et d’Inde. Mais ni la Chine ni l’Inde ne sont associées à ce traité ce qui pose la question de l’efficacité de la lutte contre la contrefaçon.

Ce traité aurait pu être négocié dans le cadre de l’OMC et de ses organismes spécialement chargés de la défense de la propriété industrielle et de la propriété intellectuelle. Mais les pays de l’OMC ont refusé. Alors un petit groupe d’Etats s’est organisé pour générer ACTA.

Le véritable but d’ACTA est de gérer la propriété intellectuelle. Ce traité anticipe l’avènement d’une nouvelle ère : l’économie de la connaissance, incluant les brevets sur tout le vivant.

Deux visions d’Internet sont possibles :

-Internet, nouvel espace démocratique, espace de partage de la connaissance et du pouvoir

-ou Internet, nouvel espace commercial où toute incursion doit générer un paiement.

Les politiques ne contrôlent pas Internet. Aux Etats-Unis, la tentative de faire adopter des lois comme SOPA, PIPA à l’initiative des industriels du divertissement ont provoqué la mobilisation de 7 millions de personnes et un recul des autorités. Cependant, la  loi CISPA vient juste d’être adoptée par la Chambre des représentants.

Avec ACTA, il n’y pas de distinction entre copie privée et  copie commerciale, c’est déjà de la contrefaçon.

Le traité privilégie la protection des ayant droits au détriment de celle des consommateurs.

Les semences ne figurent pas en tant que tel dans la dernière version du texte mais les brevets oui, dans la partie civile alors qu’Internet se trouve dans la partie pénale.

En ce qui concerne les médicaments, il y a la contrefaçon de l’emballage et celle de la molécule ou du procédé brevetés avec la difficulté de déterminer leur présence dans un médicament. Les principaux médicaments visés sont les génériques. Sur suspicion, un ayant droit peut actionner les douanes pour bloquer ou détruire un stock.

Dans le domaine agricole, Monsanto, de par le volet relatif à la protection des brevets, peut appeler à détruire les cultures. Se pose le problème de la preuve  et la difficulté d’apporter une preuve négative contre un grand groupe. On est dans la logique de la présomption de culpabilité

Décidément, la propriété industrielle et la propriété intellectuelle ne sont pas de même nature.

En effet, celui qui a une pomme et qui la donne à son tour n’a plus de pomme, mais celui qui a une idée et qui la donne, ne la perd pas pour autant et permet au contraire la naissance d’une cascade d’idées. Dans ce domaine le partage peut fertiliser et la répression du partage peut stériliser.