LE PARTENARIAT FRANCO-ALLEMAND FACE AU PLUS GRAND DÉFI DE SON HISTOIRE

CONFÉRENCE 21 NOVEMBRE 2012 MAIRIE DU 7e

Dans le cadre du 50e anniversaire du Traité de l’Elysée

« Le partenariat franco-allemand face au plus grand défi de son histoire »

Dr Christian SEEBODE, Consul Général d’Allemagne

Introduction par Madame Antonia BLEY, Présidente du Pôle Européen.

Nous sommes nombreux ce soir dans cette salle pour fêter le 50e anniversaire du Traité de l’Elysée.

En effet, il y a 50 ans, le 8 septembre 1962, le Général de Gaulle adressait en allemand à la jeunesse à Ludwigsburg, un discours fondateur l’appelant à soutenir l’effort des deux États vers la voie de la coopération économique, politique et culturelle de l’Europe.

Quelques mois plus tard, le 22 janvier 1963, le chancelier Adenauer et le Général de Gaulle finalisaient en signant le traité de l’Elysée instaurant un partenariat exceptionnel entre l’Allemagne et la France, mais aussi accord devant favoriser la construction de l’Europe sur l’axe fort Paris-Bonn.

Ce traité prévoyait entre les 2 pays une collaboration exemplaire dans  les domaines : politique, économique, culturel et pédagogique, destiné à dépasser un passé conflictuel et à fonder un avenir commun au sein d’une Europe unie.

Dans le domaine politique, le traité instituait des rencontres régulières entre les 2 gouvernements dont l’un des effets et non le moindre est d’avoir appris ensemble à résoudre les différences de vue par le compromis. A titre d’exemple, au printemps 2010, la crise et les turbulences ont mis à mal la cohésion en Europe. Et pourtant France et Allemagne ont dépassé leurs différends et réussi à trouver un accord pour l’instauration d’une gouvernance économique pour la zone euro avec le Mécanisme européen de stabilité et le traité budgétaire.

En matière économique, l’Allemagne et la France sont devenus l’un pour l’autre le 1er partenaire commercial.  Si le solde des échanges commerciaux est négatif pour la France par contre les investissements allemands en France sont très importants, les entreprises allemandes en France ont créé 350 000 emplois alors que les entreprises françaises en Allemagne ont créé 250 000 emplois,  3000 entreprises allemandes ont une agence en France,  2000 entreprises françaises ont une agence en Allemagne.

La région Rhône-Alpes est la 1ère région bénéficiaire des investissements allemands.

En ce qui concerne la société civile, l’éducation et la culture, les liens sont très forts: 2200 jumelages plus les liens entre les universités, les écoles. Lyon est jumelée avec Francfort.

2 organismes ont joué un rôle structurant dans ses échanges :

-OFAJ (office franco-allemand pour la jeunesse) qui a permis à 8 millions de jeunes de profiter des échanges,

-l’Université franco-allemande à Sarrebruck : 5000 étudiants et doctorants suivent un cursus intégré et un double diplôme.

-la chaîne culturelle ARTE créée en 1992.

Au terme de ces 50 ans de fonctionnement, on peut constater qu’à ce jour le traité de l’Elysée a rempli pleinement ses objectifs de faire que ces deux pays soient l’un pour l’autre 1er partenaire politique, économique et culturel

Une nouvelle étape de la coopération franco-allemande se dessine avec  l’Agenda 2020

Adopté le 4 février 2010, par le 12ème Conseil des ministres franco-allemand, les objectifs en sont ambitieux : consolider la coopération bilatérale dans des domaines fondamentaux notamment crise économique, recherche innovation, défense, environnement,  pour permettre à l’Europe de répondre aux défis actuels.

Car en effet le traité de l’Elysée ne vise pas seulement la coopération bilatérale mais, selon la brève déclaration accompagnant le traité, l’un de ses 3 objectifs est de favoriser la « construction de l’Europe unie, qui est le but des deux peuples ».

Les textes et l’esprit des textes européens de même que la pratique, ont fait de la coopération franco-allemande le fondement de l’Union européenne mais aussi son moteur, de sorte que les difficultés entre les 2 pays ont forcément une dimension européenne.

Les désordres économiques mondiaux qui impactent l’euro et engendrent des souffrances inédites en temps de paix pour les peuples, constituent un défi à ce partenariat exemplaire, peut-être un défi sans précédent. Quelles peuvent être les perspectives ?

Nous avons invité M. le Dr Christian SEEBODE, Consul Général d’Allemagne, membre du corps diplomatique de la république d’Allemagne, que nous remercions vivement d’avoir accepté notre invitation et auquel je passe maintenant la parole.

(Seul le texte prononcé fait foi)
Le partenariat franco-allemand face au plus grand défi de son histoire
Intervention au Pôle Européen de Lyon et Rhône-Alpes le 21 novembre 2012

Madame la Présidente,
Messieurs les Maires,
Chers confrères du Corps Consulaire,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis du franco-allemand,

Je voudrais commencer par remercier l’organisateur de cette conférence, le Pôle Européen de Lyon et Rhône-Alpes, de m’offrir l’opportunité de prendre la parole ce soir devant un public aussi nombreux. Merci beaucoup pour votre intérêt.

Mes remerciements sont également destinés à Monsieur le Maire du 7ème arrondissement qui a bien voulu mettre à notre disposition ces beaux et prestigieux salons.

L’année 2012/2013 est caractérisée par un événement d’un impact crucial dans l’histoire de nos deux pays.

Il y a bientôt cinquante ans, le chancelier Konrad Adenauer et le Général de Gaulle signaient le Traité de l’Élysée. Cette date marque l’instauration d’une nouvelle confiance en Europe au lendemain des horreurs de deux guerres mondiales. Elles sont aussi synonymes de l’émergence d’une communauté de culture européenne née de la réconciliation franco-allemande.

Désormais, c’est une culture européenne de la diversité qui unit Allemands et Français, une culture fondée sur la coexistence pacifique et tolérante par-delà des frontières ouvertes.

Ses valeurs fondamentales sont celles des révolutions française et allemande de 1789 et 1989 pour la liberté : la liberté de l’individu, la protection des minorités dans l’État de droit et la participation de tous à la démocratie.

Notre communauté de culture repose sur la confiance dont les bases ont été jetées par de Gaulle et Adenauer il y a un demi siècle : confiance entre voisins européens et confiance dans le projet politique européen. Cette confiance a assuré à l’Europe cinquante années de liberté, de paix et de prospérité.

Cette confiance en Europe ne va pas de soi. Nous devons l’entretenir chaque jour. La crise de la dette est là pour nous le rappeler. Elle est probablement à l’origine de la plus grave crise de confiance dans l’histoire de la construction européenne. Les vieux ressentiments sont de retour. Certains de nos voisins craignent la réapparition d’une Allemagne surpuissante. L’idée européenne elle-même suscite des doutes.

Ce dont nous avons besoin désormais, c’est d’une gestion politique intelligente de la crise pour rétablir la confiance. Mais cela ne suffira pas. Pour reprendre une phrase de Jean Monnet, « si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». Le projet politique européen n’a de chances de succès que s’il est encore plus fortement que par le passé perçu comme un projet de construction culturelle.

Nos économies nationales ne sont pas les seules confrontées aujourd’hui à des déséquilibres. Face à la crise, les débats et échanges sur l’Europe révèlent une divergence entre les pays, souvent plus influencée par les expériences et traditions culturelles de chacun que par l’idée européenne commune. Voilà comment naissent les malentendus et les préjugés qui rendent plus difficile l’élaboration d’une réponse européenne à la crise.

C’est une erreur que de croire que cinquante ans de Traité de l’Élysée ont permis d’aplanir les différences de mentalité et de culture existant entre nous. Aussi, plutôt que d’occulter nos différences, considérons-les comme l’expression de cette diversité propre à notre communauté de culture.

Nous devons en Europe nous écouter plus attentivement les uns les autres. Nous devons traduire patiemment chacun de nos arguments dans la langue de notre voisin. À l’inverse, ne permettons pas que le débat sur l’Europe en Allemagne soit réduit au seul terme d’austérité. Nous devons aussi veiller à ne pas nourrir les craintes de celles et ceux pour qui l’Allemagne aspirerait au rôle de superviseur financier de l’Europe et alors que la France se montrerait trop souple quant à la nécessité d’établir une solide base monétaire et budgétaire en Europe.

Pour l’Allemagne, il n’est pas d’avenir réussi sans l’Europe. L’Allemagne, pas plus que ses voisins, ne pourra relever seule les défis de la mondialisation. C’est pourquoi il est de notre intérêt d’élever l’Europe au rang d’acteur sur la scène internationale.

À cet égard, nous considérons la France comme un partenaire indispensable. Cinquante ans après le Traité de l’Élysée, la relation de confiance qui nous unit est sans précédent. Elle nous permet de trouver des compromis là où nos positions de départ étaient diamétralement opposées. Ces compromis sont en règle générale suffisamment convaincants pour que l’ensemble de l’Europe puisse y adhérer. Voilà pourquoi nous portons aujourd’hui la responsabilité commune du projet européen.

Ce faisant, nous ne nous sommes jamais considérés comme un directoire exclusif. Aujourd’hui plus que jamais, nous ne pouvons construire l’Europe qu’avec nos voisins, et non contre eux. Dans une Union à 27, il revient à la Pologne une place particulière.

C’est pour cette raison que nous avons relancé le Triangle de Weimar dans lequel nous voyons une force de propositions pour la politique européenne.

Aujourd’hui, l’idée selon laquelle nous pouvons surmonter la crise de la dette au moyen de « plus d’Europe » est plus consensuelle en Allemagne que dans tout autre pays européen. Pour autant, consolidation budgétaire et croissance ne sont pas opposées, mais plutôt les deux faces d’une même médaille.

Nous savons par expérience que ni les économies et les réformes structurelles, ni la croissance à crédit ne suffisent à elles seules pour surmonter la crise. Nous savons aussi qu’il faut du temps aux réformes structurelles pour agir. Il est donc d’autant plus nécessaire de les adopter et de les mettre en oeuvre dès aujourd’hui.

C’est pourquoi le Bundestag et le Bundesrat ont ratifié il y a peu de temps seulement le traité budgétaire et le mécanisme de sauvetage permanent. Également, nous avons avec la France finalisé le pacte de croissance au Conseil européen.

Face à la crise, l’Europe a besoin d’actions fédératrices. Nous devons accorder à la devise européenne « unis dans la diversité » l’importance qui lui revient et faire en sorte que l’opinion publique européenne devienne réalité. L’heure est venue de lancer un débat européen commun sur l’avenir de l’Europe. Ce débat peut redonner confiance aux Européens. Parallèlement, plus la vision de l’Europe que nous voulons construire pour les générations à venir sera claire, mieux nous réussirons à surmonter la crise actuelle.

C’est en partant de cette idée que s’est mis en place en mars dernier un groupe informel composé des ministres européens des Affaires étrangères, parmi lesquels Monsieur Laurent Fabius, chargés de réfléchir à l’avenir de l’Europe.

Ce groupe entend initier un débat européen commun. Aussi plaidons-nous pour un resserrement des liens politiques en Europe. Trois points sont à notre sens décisifs.

Premièrement,
nous devons rendre irréversible notre Union monétaire en la complétant par une coopération plus étroite en matière de politique économique et budgétaire. Pour cela, nous devons transférer à Bruxelles davantage de droits de souveraineté.
Notre devoir de solidarité entre voisins ne saurait être remis en question à l’avenir. Mais là aussi, il convient de respecter le principe démocratique selon lequel seul celui qui est en mesure d’exercer davantage de contrôle est également en mesure d’endosser davantage de responsabilités.

Deuxièmement,
nous devons doter l’Europe d’institutions qui soient capables d’agir et qui jouissent d’une légitimité démocratique. Les citoyens et les États ne transfèreront davantage de droits de souveraineté au niveau européen qu’à la condition que cette Europe défende avec force leurs intérêts tout en se soumettant pleinement à leur contrôle
démocratique.

Troisièmement,
nous devons faire de l’Europe l’une des nouvelles puissances mondiales. À la différence de ses États membres, cette Europe est en mesure de conduire le dialogue des civilisations en qualité d’acteur mondial. Et pour que cela réussisse, il nous faut développer une approche globale en matière de politique étrangère européenne.

Ce n’est pas en nous posant en donneurs de leçons que nous obtiendrons ici des résultats. Il importera au contraire de convaincre nos partenaires par la seule force du bon exemple.

Nous devons pour cela trouver le courage d’emprunter de nouvelles voies. N’oublions pas non plus de prendre en compte la dimension culturelle dans les relations extérieures de l’Europe, en plaidant ensemble par exemple pour la protection de la propriété intellectuelle sur l’Internet.

Préservons ainsi cette diversité et cette individualité créative qui caractérisent la culture européenne.

Nous devrions également considérer plus fortement la politique culturelle extérieure comme un projet de construction européenne.

Pour ce faire, il ne faut ni niveler la diversité de la culture européenne, ni priver les artistes et acteurs culturels de leur indépendance. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement de mentalités. Les acteurs culturels nationaux doivent se considérer encore davantage comme les porte-parole de l’Europe.

Notre objectif commun doit être le renforcement de notre communauté de culture, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il incombera aux Allemands et aux Français dans les mois à venir de débattre avec passion de la meilleure façon d’y parvenir.

Je suis convaincu qu’il en ressortira des propositions décisives pour l’Europe.

Nous ne saurions imaginer de meilleur projet à la veille du 50ème anniversaire de la signature du Traité de l’Élysée. Ce serait là l’une de ces « étapes indispensables sur la voie de l’Europe unie » auxquelles aspiraient Adenauer et de Gaulle en janvier 1963.

Nous devrons embrasser de rudes tâches qu’il faudra accomplir avec ambition, patience, clairvoyance et sensibilité à l’égard des besoins de nos partenaires. Nous continuerons à finaliser notre commun projet européen quels que soient les obstacles rencontrés. La France et l’Allemagne endossent une responsabilité particulière dans la réalisation de ce projet en commun, tout en tenant compte des intérêts de l’ensemble de leurs partenaires.

Je vous remercie de votre attention.